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Le dialogue social dans l’économie des plateformes : quels enjeux ?

Intervention de Christophe DEGRYSE

Comment se représenter les relations de travail sur une plateforme ?

 

On ne parle pas d’employeur dans l’économie de plateforme mais de « requester ». La plateforme met en contact le travailleur avec le « requester », qui une entreprise, une PME, un indépendant ou un consommateur de pizza…La plateforme et ses algorithmes organisent le travail, fixent les tarifs en fonction de l’offre et la demande, les délais à respecter, évaluent le travail, notent le travailleur, le rémunèrent et le cas échant le dis-connectent si la plateforme n’est pas satisfaite du travail du travailleur.

 

En disposant d’une offre abondante, la plateforme va pourvoir susciter cette offre via la fluctuation des tarifs en fonction des besoins et donc inciter le travailleur à se connecter en fonction des besoins. En ce sens, l’algorithme remplit les fonctions de management et, peut-être est-ce un peu un slogan, l’employeur disparaît derrière la plateforme. Beaucoup d’études ces dernières années ont porté sur la menace d’un avenir sans emplois. En matière d’économie de plateforme, ce n’est pas le travail qui disparaît, mais la figure de l’employeur, avec un travailleur considéré comme indépendant, sans contrat de travail, ni droit du travail, ni négociation collective, et pas de recours possible. Même si il n’y a pas de subordination juridique, il y a une forme de dépendance économique, mais également, ce qui est nouveau, un management algorithmique. C’est l’algorithmique en quelque sorte qui gère la relation de travail.

 

Peut-on par conséquent parler d’ « évasion sociale » ?

 

C’est-à-dire une forme de désertion du champ des relations sociales de la part de l’employeur qui, grâce aux nouvelles technologies, peut se cacher derrière cette plateforme, l’application et ses algorithmes. Uber France a réalisé une consultation de ses travailleurs au premier semestre 2019. Les chauffeurs expriment leur satisfaction en terme de liberté dans leur travail : « je travaille quand je le souhaite », « je suis mon propre patron », « je travaille autant que je le souhaite ». Ils expriment aussi des souhaits d’amélioration sous la forme un partenariat avec le management sur les questions liées à leur véhicule, la formation. Ils souhaitent une amélioration de leur protection sociale, un soutien financier en cas de baisse d’activité, un soutien au logement.

 

Les enjeux sont aujourd’hui d’ordre juridique : qui est responsable de la relation de travail ? Quels statuts ? Quelle frontière ? Quels accès aux droits sociaux ? Dans un contexte de polarisation de la société et des marchés du travail, entre d’un côté les « cerveaux » et de l’autre leurs « servants », Ils sont également d’ordre politique, notamment à travers les débats au plan européen et les initiatives de la Commission européenne. Ils sont également d’ordre social : comment organiser ces travailleurs au-delà du statut ? Comment construire une « voix collective », entrer en négociation sur les conditions de travail ?

 

De surcroît, les différents types de plateforme ne connaissent pas tous les mêmes enjeux.

 

• Les plateformes de micro travail : les « micro- travailleurs » (crowdworkers) sont presque totalement invisibles et éparpillés dans le monde entier. On ne dispose que peu d’informations statistiques. On n’entend pas à ce jour de revendications de statut de leur part. De manière générale, Ils ne se connaissent pas et rencontrent beaucoup de difficultés à partager leurs expériences et à bénéficier de conseils.

 

Les plateformes de travail à la demande, pour lesquelles sont surtout présents les enjeux de rémunération, de conditions de travail, de protection sociale et de négociation collective, en particulier dans les domaines du transport et de la livraison, mais pas seulement (plateformes de soin à domicile par ex., des plateformes de bricolage, de jardinage…)

 

Les plateformes de sous-traitance en ligne, qui ont plutôt recours à des travailleurs indépendants, plus ou moins qualifiés,, qui peuvent, via la plateforme, élargir en quelque sorte leur clientèle et peuvent, selon les cas, fixer eux-mêmes leur tarifs.

 

L’algorithme remplit les fonctions de management et l’employeur disparaît derrière la plateforme

Les « micro- travailleurs » sont presque totalement invisibles et éparpillés dans le monde entier. On n’entend pas à ce jour de revendications de statut de leur part.

Les enjeux sont aujourd’hui d’ordre juridique : qui est responsable de la relation de travail ? Quels statuts ? Quelle frontière ? Quels accès aux droits sociaux ?

Christophe DEGRYSE

 

Responsable de l’Unité prospective de l’Institut syndical européen (ETUI). Il a notamment réalisé pour le compte de l’Institut syndical européen une étude approfondie sur les impacts sociaux sur la digitalisation de l’économie