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Travailleurs des plateformes : le point sur le contentieux relatif à la requalification en contrat de travail

Intervention de Françoise CHAMPEAUX

Tout au long de notre année de travail collaboratif nous avons pu débattre et échanger à partir de tout le matériel récupéré lors des conférences, rencontres, visites et tables rondes auxquelles nous avons pu participer. Ce qui nous a permis d’identifier au travers d’une analyse fine des contenus de l’ensemble des restitutions les faits et arguments saillants en lien avec notre controverse. Une façon de lui donner suffisamment de relief et de mettre en valeur les acteurs clés rencontrés. Pour comprendre la genèse d’une controverse, il est toujours intéressant de revenir à l’origine de notre aventure profondément liée à la typologie de notre groupe multiculturel en termes d’idées, de vécu, de sensibilité et de vision des choses autour d’une thème commun « L’impact du numérique » dans l’évolution du monde économique et du travail et ce au travers d’un programme concocté par l’INTEFP. En ce qui nous concerne, nous nous concentrerons sur les données, arguments et divers questionnements directement liés à la mutation des modèles économiques et laisserons le soin aux autres groupes de récupérer les informations liés à leur propre controverse. Nous vous proposons de reprendre les différentes étapes de notre aventure commune, module par module car nous pensons y déceler une forme de chronologie induite par la teneur et le contenu de ceux-ci … de la découverte du phénomène à la prise de conscience collective.

Le travailleur des plateformes fait-il « exploser » le modèle binaire salarié/indépendant que l’on connaît ou va-t-il imposer un nouveau modèle ?

 

L’enjeu est de taille : il s’agit d’appliquer le code du travail et le régime de sécurité sociale. Le statut du travailleur peut intervenir par le droit (c’est le cas en France avec la loi Travail et la loi Mobilité), ou par la jurisprudence, le juge ne pouvant toutefois créer de nouvelles catégories juridiques.

 

Dans les faits, le juge, au fil du temps, a retenu une définition relativement étroite du contrat de travail comme étant « celui par lequel une personne physique s’engage à travailler pour le compte d’une autre personne sous la subordination de laquelle elle se place moyennant une rémunération ». L’employeur dispose selon lui dans cette relation d’un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction. Sur cette base, le juge va alors travailler à rechercher des faisceaux d’indices et apprécier les conditions d’exécution de la relation de travail.

 

Dans l’affaire des travailleurs indépendants du service de livraison de repas Take It Easy, l’avocate générale a ainsi « dépecée » la relation de travail pour matérialiser des demandes de respect d’horaires, de consignes, l’existence de sanctions, l’intégration à une équipe de travail salarié, la localisation dans les locaux de l’entreprise et la fourniture de matériels et d’équipements. La cour d’appel de Paris a estimé qu’il n’y avait pas de lien de subordination car les livreurs étaient à ses yeux libres de ne pas travailler. Pour la chambre sociale de la Cour de Cassation en revanche ce lien existait bel et bien. Elle a considéré comme constitué un pouvoir de contrôle et de sanction de la plateforme sur ses livreurs indépendants et requalifié la relation de travail.

 

Pour Françoise Champeaux, l’affaire d’un chauffeur Uber contre la plateforme de VTC pourrait ouvrir pour la suite davantage de perspectives pour le juge. En effet, la Cour de Cassation pourrait saisir la Cour de Justice Européenne afin de savoir si les travailleurs des plateformes relèvent des directives européennes sur le travail, la santé et sécurité au travail. En cas de réponse positive, elles s’appliqueront aux travailleurs des plateformes en ce qui concerne le temps de travail notamment. L’occasion alors pour le juge de construire quasiment tout seul un tiers statut.

Françoise CHAMPEAUX

 

Juriste et rédactrice en chef de la Semaine Sociale Lamy, revue spécialisée sur l’actualité juridique et sociale après avoir été chargée de cours à l’école de droit de La Sorbonne à Paris. Elle est notamment l’auteure de « Derniers recours », paru en 2012 et co-écrit avec Sandrine Foulon où elle analysait le combat des salariés licenciés pour obtenir justice et faire valoir leurs droits. Elle a été auditrice de la 36ème session nationale.

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