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Le big data dans le secteur des ressources humaines

Intervention de Valérie PEUGEOT

Le secteur des Ressources Humaines constitue-t-il le nouvel eldorado en matière de Big Data ? Selon certaines promesses, c’est un marché estimé à 1,5 milliard d’euros à horizon 2025 pour les quelques 600 entreprises et start-up françaises du secteur. Pour les clients, ce serait un gain de productivité de l’ordre de 70%. Dans les faits, le déploiement des solutions technologiques en matière de RH est encore faible et les promesses pas toujours tenues.

 

Quelles sont les promesses d’amélioration ?

 

Les solutions de Big Data en matière de RH proposent généralement des solutions pour mieux cibler les profils, en interne ou lors d'un recrutement, et mieux gérer les carrières. Elles promettent ainsi de l’aide pour :

 

● améliorer le processus de recrutement (cibler les bonnes compétences, mieux filtrer les candidatures reçues)

● mieux comprendre les phénomènes sociaux dans l’entreprise comme par exemple les effets induits par de nouveaux modes de management

● améliorer la gestion des carrières et le choix de formation des salariés

● essayer de retenir les salariés appréciés en anticipant un futur départ

 

Comment fonctionnent et que proposent ses solutions ?

 

Les algorithmes de ces solutions récupèrent des données issues notamment des réseaux sociaux comme LinkedIn, réseau social dédié aux relations professionnelles. Ils analysent les parcours professionnels et proposent des modèles. L’utilisateur peut alors les confronter directement au cas du collaborateur concerné.

 

Quels sont les risques ?

 

Tout d’abord, les risques concernent l’absence de contrôle des algorithmes par le client. Sans accès aux « boîtes noires », difficile voire impossible alors de contrôler par exemple la nature des données collectées et les critères retenus. Dans cette logique de «solution propriétaire», elles restent le plus souvent hébergées chez le fabricant sans que le client ait accès à la technologie.

 

Ces solutions, trop standardisées, ont tendance à uniformiser les profils et les carrières. Elles tendent à atomiser les parcours professionnels. Ces derniers sont davantage analysés et valorisés à l’aune des compétences plutôt que des logiques et particularités des métiers et des carrières. Elles peuvent donc passer à côté de leur cible qui aura eu un parcours moins linéaire que le modèle prédictif mais qui se serait révélée comme le meilleur profil dans un processus de recrutement par exemple.

 

Les algorithmes n’étant pas neutres ni indépendants de l’homme, ils peuvent être orientés de façon à discriminer certains profils, filières ou carrières. Le paramétrage et le dosage des algorithmes rendent donc plus stratégique encore la question de l’accès et du contrôle de la solution par le client. Il faut par ailleurs être vigilant sur la valeur et l’intérêt des données collectées. Ces solutions de profilage peuvent utiliser dans leurs modèles des profils psychologiques sans valeur ni contrôle scientifiques.

 

Quels garde-fous ?

 

Le droit français instaure des limites à l’utilisation des données. Le principe de finalité oblige ainsi à préciser la destination des données que l’on souhaite collecter, notamment les cookies lors de la navigation sur internet.

 

La loi impose également une limitation de la quantité des données que des tiers peuvent collecter à partir de nos usages de services en ligne. Le droit français se veut également protecteur des données personnelles. Il est ainsi interdit de croiser des données issues de profils publics ou professionnels avec des données bancaires ou provenant de profils personnels sur les réseaux sociaux.

 

Par ailleurs, l’article 22 du RGPD interdit l’utilisation d’un traitement algorithmique sur une personne humaine s’il y a des effets juridiques ou importants sur sa personne. En théorie, un algorithme ne peut pas seul collecter des données sur une personne sans intervention humaine.

 

Où en est-on ?

 

Pour l’heure, les solutions Big Data RH restent peu déployées et plutôt expérimentales. Un des problèmes actuels réside dans le fait que les solutions sont trop standardisées. Elles découlent de logiciels développés, gérés et hébergés par les prestataires. Les solutions ne sont donc pas encore largement déployées et pilotées en interne par les clients. Elles manquent alors de personnalisation et d’adaptation aux besoins et spécificités des clients.

 

Le travail de classification de la donnée est primordial mais reste encore largement externalisé. Il existe alors un décalage entre les directions qui voient bien souvent ces solutions comme un moyen « magique » de traiter par la donnée des processus complexes et les spécialistes des RH qui constatent dans les faits leur faible niveau d’efficacité.

 

Quel rôle pour les partenaires sociaux ?

 

Les partenaires sociaux peuvent peser au sein des entreprises à différents niveaux. Ils peuvent œuvrer à une meilleure transparence des solutions RH issues du Big Data. A défaut de rendre la solution totalement ouverte ou maîtrisée par l’entreprise, les organisations syndicales peuvent demander à ce que leur fonctionnement et les critères utilisés soient clairement établis et connus.

 

D’autre part, ils peuvent tenter d’orienter les solutions au bénéfice des salariés. Elles ne seraient donc plus seulement destinées aux opérations de profilage mais pourraient apporter aux salariés une meilleure connaissance du marché du travail ou de leurs possibilités de formation. Il est aussi possible d’imaginer ces solutions comme un outil d’analyse vertueux des données produites par les salariés au sein de l’entreprise afin d’améliorer l’organisation du travail.

 

Il est interdit de croiser des données issues de profils publics ou professionnels avec des données bancaires ou provenant de profils personnels sur les réseaux sociaux

Les organisations syndicales peuvent demander à ce que leur fonctionnement et les critères utilisés soient clairement établis et connus.

Le paramétrage et le dosage des algorithmes rendent donc plus stratégique encore la question de l’accès et du contrôle de la solution par le client

Valérie PEUGEOT

 

Diplômée de Sciences Po Paris. Elle intègre en 2005 le service de Veille et Études de Sofrecom, filiale de France Telecom. En 2010, elle entre au département de Recherche et Développement de la maison mère. Depuis 2012, elle est prospectiviste et chercheuse en « digital studies » au sein de SENSE, département de sciences sociales et humaines d’Orange. De 2013 à 2015, elle a été vice-présidente du Conseil National du Numérique, commission consultative auprès du ministère du numérique, chargée d’analyser les enjeux sociétaux des questions relatives au numérique.

Big Data

 

Le Big Data représente l’ensemble des données numériques extrêmement volumineuses, non agglomérées -notamment celles laissées par les utilisateurs en ligne- qui vont être collectées, compilées, stockées et analysées à des fins d’études. Son utilisation se traduit notamment par la création de solutions prédictives et d’aide à la décision.

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